À Paris, je m'offre
pour la première fois depuis longtemps une journée entière à lire : une de ces
ivresses de lecture que je ne peux généralement me permettre qu'à Mirebeau.
Jean-Christian Petitfils, que j'ai eu tout à trac, voulant me distraire de la
politicaille, l'idée d'inviter à mon prochain mercredi de Courtoisie, me
fait porter son « Louis XV » dont il m'annonce qu'il doit paraître la
semaine prochaine – « actu » à laquelle je ne m'attendais pas et qui
certes tombe à pic. Ai plongé dans ce gros volume avec ravissement, tout à la
joie de mon temps retrouvé depuis que le SIEL et autres plaisanteries ne
l'accaparent plus...
Dès les premières pages, je fus
ébahi par la qualité de la plume, la richesse du vocabulaire (bonheur si décalé
des mots rares ou archaïques), et par-dessus tout la puissance des évocations :
historien et écrivain ! Le livre s'ouvre sur une méticuleuse description du
réveil de Versailles, dans l'aube d'un matin de l'hiver 1710, ce matin glacé qui
voit naître le futur roi au milieu de la Cour, toute entière réunie autour de
la table de douleur d'Adélaïde de Savoie... Cette qualité de plume est la
marque des grande historiens, et l'on pourra sans doute inscrire Petitfils dans
la lignée des Michelet ou Bainville. Pas de doute, je n'aurai nul autre invité
mercredi ; grand hâte d'enregistrer ce tête-à-tête.
Marie-France Garaud
me disait l'autre jour craindre que la France n'ait bientôt plus de grands
historiens ; et certes, après les Braudel, Duby, Miquel, et Le Goff récemment
disparu, et tandis que Fumaroli, Decaux ou Le Roy Ladurie sont gagnés par
l'âge, on ne voit pas si clairement la relève (Audran, Tulard, sans doute
quelques autres aussi que j'oublie à l'instant mais qui ne sont pas de la
première jeunesse), comme si la France moderne, si décidée à se tourner le dos
elle-même, n'avait plus le souci de ce qui la fait vivre depuis ses origines,
une Histoire – cela peut-être depuis la première « Histoire des
Francs » du lointain Grégoire de Tours... Sans doute les historiens
spécialisés, et trop spécialisés, dans le XXe siècle, principalement la Grande
Guerre 1914-1945, abondent-ils ; mais ils fleurètent un peu avec l'idéologie,
et le ressassement accusatoire, qui est bien le contraire d'une histoire nationale
– ce que l'on ne nomme plus qu'avec mépris, le « roman français ».
Petitfils, bien qu'il ne sorte pas du moule universitaire, et peut-être grâce à
cela, échappe au prurit contemporanéiste : de la fin du XVIe jusqu'au XXe
siècle, il couvre une belle continuité – sans parler de son monumental
« Jésus ». Voilà bien un sujet à aborder avec lui mercredi soir...
En 1711, peu après la
naissance du futur Louis XV, le Grand Dauphin, son grand-père, meurt de la
vérole noire. Louis XIV ne peut cependant accompagner l'agonie de son fils, le
protocole interdisant au roi de rester dans la maison d'un mort ; signe
supplémentaire de l'incompatibilité, dans l'Ancienne France, de la royauté et
de la mort, détail si riche de sens... (de même l'abondance des couleurs dans
les parures de la Cour, couleurs souvent vives telles que les décrit avec luxe
de détails Petitfils – autre signe plein de sens quand, dans nos jours très
« républicains », presque tout le monde s'habille en noir...).
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