Retour hier au soir à Chabreville où, dès la nuit tombée, le froid et
l’humidité gagnent les campagnes sombres, brutal contraste après l’après-midi
ensoleillée et incroyablement lumineuse passée à Bordeaux avec Virginie
–Quinconces, Grand Théâtre, Cours de l’Intendance, Mollat, puis un peu de mes
vieilles allées de Tourny avant un petit thé dans le nouveau café du jardin
public, furieusement chic. Retour par la Porte Cailhau, courte visite à
L. ; puis je tourne bride vers le Nord en chantant dans la voiture.
Aujourd’hui, visite des maisons du hameau dit « chez Berthelot »,
dont l’achat est fort tentant, car chaque partie de la famille y
trouverait son toit, et nous serions ensemble sans l’être – mais cela fait sept
corps de bâtiments ! ; deux visites même : le matin avec Jean-Paul et
Virginie, puis derechef l’après-midi, après un repas de cèpes, avec Sonia de la
R. et AFA, emballés. Je quitte tristement AFA qui s’en retourne en Égypte
dans quelques jours : plus de Chabreville jusqu’au Printemps !
Retrouve Mirebeau, ce soir, passablement sinistre…
Anniversaire de l’armistice : personne ne dit qu'il fut un cadeau immense fait à l'Allemagne – et aux États-Unis,
comme à l'Angleterre, qui avaient tant peur que, les armées allemandes étant en
déroute, les françaises passassent le Rhin et s'y installassent le temps
de prendre des gages ; la France, chose horrible pour les Anglo-saxons, serait ainsi
devenue la plus grande puissance du continent, peut-être durablement ; et
peut-être aurait-on ainsi évité Hitler…
La Grande Guerre me passionne, ces
jours-ci ; j'ai hâte, chaque soir, de remonter dans ma chambre pour retrouver
l’extra-ordinaire Journal de la Grande Guerre de Jacques Bainville, où
l’on voit sans cesse paraître, dès l’année 14, les prodromes de ce que sera
1940 : en 14, le parti de la paix aurait pu l'emporter (et pour commencer en
Angleterre), pour finalement l'emporter, en 40, d'un cheveu (ce cheveu pourrait
bien être Raynaud...) Plus important que je ne l'aurais cru fut par
exemple la formation, à gauche, d’un parti de la paix – autour du décidément abominable
Joseph Caillaux, qui n’a pas fait qu’inventer l’horreur de la saignée dite
« impôt sur le revenu », mais a également tenté, tout le mois d'août,
de faire avaler au Gouvernement une paix séparée avec l'Allemagne, alors même
que nos soldats se battaient avec une abnégation admirable et que, dès
septembre, ils surent renverser la situation. Mais le cas Caillaux est un
symptôme : dès la Grande Guerre, du moins en 1914, avant que tout notre peuple
prenne littéralement le mors aux dents, une part de la classe politique
ne voulait pas de la guerre, ou tout simplement ne la croyait pas possible.
Bainville note : « Le propre de cette guerre, c'est qu'elle sera
soutenue, du coté anglais et du côté français, par des gouvernements non
seulement pacifiques, mais pacifistes, c'est-à-dire doctrinalement persuadés
que la phase guerrière était close dans l'histoire de l'Humanité. Du côté
ennemi, c'est un État militaire dont toutes les forces sont tendues vers la
préparation de la guerre ».
Il aura fallu plusieurs semaines
avant que Paris ne comprenne l'immensité du défi, et, surtout, prenne la mesure
de l'agressivité allemande, de sa volonté de mener à la France une guerre
totale. Bainville écrit à la date du 20 août : « On se bat depuis Bâle
jusqu'aux portes de Bruxelles... Paris est grave, sans fanfaronnade (...). On
se rend compte du caractère formidable de la lutte qu'il faudra soutenir contre
un empire de 65 millions d'habitants qui est devenu, sous la direction de la
Prusse, une immense machine de guerre. On devine que, entre Namur et Liège,
l'Allemagne se prépare à un immense effort pour envahir la France, l'inonder de
deux millions d'hommes. Paris retient son souffle en attendant l'issue de cette
lutte gigantesque. C'est un moment historique pareil à celui qu'a connu Athènes
menacée par les armées de Xerxès. L'œil en caresse avec plus d'amour le
paysage, les monuments parisiens qui, dans la solitude et le silence de la
ville, revêtent une grandeur nouvelle. »
(Ce que paraissent pâlots, à côté de cette
magnificence, les Marine, Philippe, Nicolas et autres « défenseurs de la
France » qui ergotent à l’infini, chacun enfermé dans son coin, chacun
faisant flotter son fanion sur son donjon, pendant que ladite France qu’ils
prétendent sauver depuis dix ans et plus, s’enlise chaque année davantage – à
quoi, malgré les phrases de matamore qu’ils profèrent tour à tour, aucun n’a
jamais rien changé…).
N'aurait-il pas mieux valu que le parti de la paix l'emportât en 14 ? Ou même que la France - et son régime - fût rapidement vaincue par l'Allemagne du Kaiser ? Charlus était plus lucide que Bainville...
RépondreSupprimer