Ai dû interrompre hier
ce journal pour aller prendre mon train, et m’en venir respirer le grand air de
ces contrées, dont on ne sait si elles doivent être dites charentaises ou
périgourdines – nous sommes aux confins, comme presque partout en ce pays où
les provinces, maréchaussées, régions et autres n’ont jamais eu de très
précises limites... Hélas, même ici, la déliquescence de la politique, et plus
précisément de ce que Debray nomme « l’effondrement de la culture
politique », si criante dans la prestation du pauvre Hollande, me poursuit
jusqu’au milieu de ces arbres paisibles dans leurs brumes – pour ainsi dire,
elle me hante. Elle pose des questions en tous genres, comme on dit, et comme
je l’écris ici pour ne pas parler d’accablements. J’en vois au moins trois – s’ajoutant
à celle que je disais hier sur la disparition du sentiment de la grandeur,
consubstantielle à mon sens à toute œuvre ou autorité politique.
Pour commencer, mieux vaut ne pas
trop se demander comment le bonhomme Hollande a pu être élu, il y a deux ans et
demi, par plus de 18 millions de Français, et par presque tout « l’établissement »,
en tous cas l’immense majorité de ses ténors, y compris ceux qui le firent en
sourdine – flopée des gauches en tous genres, des centristes de tout poil, et
des « ni-droite ni-gauche » de toutes espèces, jusqu’à Marine Le Pen,
tous ensemble réunis dans une commune détestation de Nicolas Sarkozy. En fait, le
Système, et sans doute une bonne part du peuple français, l’a choisi justement
parce qu’il était médiocre. Comment croire qu’ils ne l’ont pas fait en
connaissance de cause ? Sa médiocrité se voyait à l’œil nu ! Je me
souviens de mon effarement quand on apprit que la primaire socialiste avait été
remportée par ce petit bout de bonhomme replet, archétype du bourgeois
rondouillard et niais du théâtre de boulevard. Certes, je ne le connaissais pas
(mise à part une courte, très courte rencontre à l’Assemblée nationale au temps
où je réalisais pour France Culture un documentaire sur l’Assemblée
nationale), mais je savais bien que le personnage n’avait nullement l’envergure
de la fonction à laquelle il prétendait. Non, les socialistes n’avaient rien de
mieux à proposer parce que, justement, cette médiocrité là est inscrite dans
l’époque, celle qu’ils dominent, leur époque… Pour le Système au cœur duquel
ils se trouvent, c’est justement ce qu’il fallait : un homme qui incarne
si mal et si peu l’État qu’il puisse le réduire à presque rien par sa propre
personne. C’est je crois le véritable ressors du phénomène médiatique, de la
vaste Ligue des Importants qui l’a rejeté aussitôt après l’avoir fait élire.
Gracieuse entourloupe : faire élire un petit bonhomme que l’on puisse, à
peine l’a-t-on élu, vouer aux gémonies – le couronner pour pouvoir jeter l’État
à la poubelle avec lui.
Hollande arrive à point pour ajouter
à la déconfiture générale du politique. Certes, je suis de ceux qui aujourd’hui
l’accablent – et les extraits que j’ai entendus sur France Info, jeudi
soir en dînant, et qui m’ont inspiré quelques touittes ont encore enfoncé le
personnage... Mais nous devrions donner des limites à ce facile dénigrement
: car ce que M. Hollande éprouve, c’est, outre les limites de sa personne,
celles dans lesquelles on a depuis trente ans enfermé sa fonction, cette
foncière impuissance de la puissance publique que les souverainistes pointent
depuis vingt ans et qui domine la période, très au-dessus de cet épisodique
quinquennat. Monsieur Hollande patauge, mais c’est avec lui toute une nation
qui patauge pour avoir elle-même détruit les instruments d’une quelconque action collective : ce n’est pas lui, pas lui seulement, qui a depuis
vingt ans jeté par-dessus bord les leviers de la souveraineté, pas lui
seulement qui a légitimé les hégémonies régnantes : l’hégémonie de la
Magistrature, celle des Syndicats, celle des Médias, celle de Bruxelles, celle
de Washington. Et ceux qui ricanent n’ont-ils pas accepté que ces ricanements,
dont toute une génération babacoule s’est fait une spécialité, abaissent l’État et
réduisent à rien son prestige, partant son autorité ? Ceux qui demandent sans
cesse n’ont-ils jamais songé que ce sont aussi leurs revendications sociales enchevêtrées
qui ont alourdi l’État de tant de graisses qu’il est finalement frappé de cette
paralysie générale dont à présent ils se moquent ? Combien ont adoré
les fléaux dont tout Président de l’A-République est prisonnier ?
(Il est d’ailleurs notable que le
seul îlot d’État dont le poste de commande réagit encore parce qu’il est son
cœur même depuis ses origines les plus lointaines, l’armée, soit le seul moyen
qui ait permis à M. Hollande de se hisser furtivement à la hauteur de ce que
l’on peut attendre d’une République – je pense aux interventions en Afrique,
Mali puis Centrafrique..)
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