Je peux passer des heures devant des atlas et des
cartes de géographie, ces
merveilleux résumés de la dictée permanente que la nature impose à la politique
des États – du moins quand leurs gouvernements la connaissent... Une carte de
la Corée montre que, en son extrême Nord-Est, à quelques centaines de
kilomètres au sud de Vladivostok, sur les bords de la mer du Japon, cet État compte
une frontière avec la Russie. Certes, la frontière est courte : 21
kilomètres – doublée par une plus longue frontière maritime ; mais elle
n’en a pas moins une portée stratégique qui pourrait être décisive, non
seulement dans le récurrent conflit entre la Chine et le Japon, dans lequel
Moscou affirme un rôle grandissant, mais aussi dans… l’équilibre de l’Europe.
Ce 17 novembre, le mythique président nord-coréen dépêche
à Moscou le premier secrétaire du Parti du Travail, en fait le « numéro
deux » du régime, M. Choe Ryong-hae. Une longue rencontre avec Vladimir
Poutine ouvre une série d’entretiens que « Choe » va multiplier tout
au long de la semaine avec les plus hauts responsables de la défense et de
l’économie russe, à Moscou d’abord, puis dans les métropoles d’Oral et de
Sibérie, au développement desquels la Corée compte être associée. Des
perspectives de coopération s'ouvrent ainsi entre les deux pays, appuyées sur
une réconciliation politique qui s’est déjà traduite par l’opposition de Moscou
aux dernières résolutions de l’ONU condamnant le régime nord-coréen.
Hier, en Roumanie, le candidat allemand (plus exactement
issu de la minorité allemande – d'aucuns diraient de « l’Europe allemande »),
remportait l’élection présidentielle. Cette victoire du « clan occidental »
parachève ainsi le nouveau cordon sanitaire antirusse par lequel, des pays
baltes jusqu'à la mer Noire, les Anglo-Saxons réussissent une fois de plus,
comme ils l’ont fait à Yalta, à couper l’Europe en deux. Les plus savants
penseront peut-être aux âges lointains des Empires polonais et polono-lituanien
qui ont longtemps relégué la Russie dans les ténèbres extra-européennes. Quelle
que soit la référence, le fait est là : dresser l’Europe contre la Russie,
c’est-à-dire couper l’Europe en deux, est la grande réussite des États-Unis,
obtenue, c'est un comble, avec la complicité des Européens en montant en
épingle contre « le régime de Poutine » des affaires de droits de
l’Homme à dormir debout, puis en lui cherchant querelle en Biélorussie, en
Géorgie, et maintenant en Ukraine. De la Pologne à la Bulgarie, Washington
et Berlin (l’Allemagne fait bel et bien partie de la ligue anglo-saxonne) ont
installé des gouvernements à leur botte, presque tous formés dans les universités
américaines et minutieusement choisis pour leur hostilité à la Russie…
17, 16, 15 novembre : la visite du dignitaire coréen
répond en quelque sorte à la victoire du candidat occidental en Roumanie et
explique la portée du geste légèrement désinvolte que le Président Poutine eut
avant-hier en quittant le G20 de Brisbane (Australie) avant que ne soit diffusé
le communiqué final. Tout cela a un sens, précis et inquiétant : Moscou renonce
à privilégier la coopération européenne pour se tourner vers l’Asie, où la
Russie dispose à présent de solides points d'appui, la Corée s’ajoutant au
traditionnel allié indien, et à l'Iran. Triste résultat pour nous, « grands
Européens » : l’Europe occidentale se trouve d’autant
mieux placée sous la botte américaine que, coupée de son poumon oriental et
orthodoxe, elle est gravement divisée, mais de plus, l'ostracisme dont est
victime la Russie la prive de la mise en valeur des immenses ressources russes,
en Sibérie et ailleurs. Détourné de l’Europe, Poutine s’intéresse à l’Asie – ou,
plus grave, intéresse l’Asie à la Russie, ce qui pourrait bien condamner
l’Europe occidentale à une marginalisation définitive. En trois jours, tout
vient d'être dit.
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