Minuit vient de passer, et, dans le calme du grand
appartement de la rue de Rennes (le plus paisible que j’aie jamais habité à
Paris, avec le petit jardin sur lequel je vois régulièrement tomber les
feuilles rousses et l’apaisante proximité de l’Institut catholique et du parc
des Carmes), je retrouve mon lit bienheureux, le bienheureux Bainville, et les
amusantes images de ma journée en Vaucluse. Il y a des jours qui ne sont que
des joies…
On dirait, d’ailleurs, que les jours
sont d’autant meilleurs qu’ils commencent tôt – chose trop rare, tant les nuits
sont encore meilleures, et qu’il me faut toujours trouver un moment pour
dormir, habituel sacrifice du matin. Je m’en fus donc dès potron-minet à la
gare de Lyon pour dégringoler à grand vitesse jusqu’à Carpentras via Avignon,
cela à l’invitation du jeune député du cru, Julien Aubert, gaulliste de bonne
souche (quoique UMP) pour parler du « gaullisme aujourd’hui » devant
les membres du rassemblement qu’il vient de créer – drôlement dénommé
« Rassemblement bleu lavande »… À sept heures, première joie, je suis
saisi en sortant du taxi par les rayons du premier soleil – du coup j’y oublie
mon téléphone portable, mais le chauffeur décrochera quand je l’appellerai du
train, et ce sera un plaisir supplémentaire d’en être débarrassé tout le jour,
comme de le retrouver à la loge en rentrant ce soir, outre qu’il est heureux de
voir tant de taxis honnêtes… Autre joie, je retrouve aussitôt dans le train mon
vieux compère Roger Karoutchi qu’Aubert a eu la bonne idée d’inviter pour la
même causerie, et avec qui je bois force cafés dans le bar lumineux qui
traverse les paysages frais réveillés de la Brie, de l’Yonne et de la
Bourgogne. Nous évoquons les souvenirs des beaux temps de l’Assemblée
nationale, de l’Hôtel de Lassay et du cabinet de Philippe Séguin – mais point
seulement des souvenirs, car ce solide agrégé d’histoire a une vue si nette et
carrée des choses, et de si bonnes introductions en certain parage, qu’il
m’apprend des choses nettement plus actuelles… J’ai grand plaisir aussi à
apercevoir, du train d’abord, puis de la voiture qui nous conduit à Carpentras,
quelques traces de ce qui reste d’Avignon à Avignon et de ce qui reste des
paysages de Provence en Provence. Hélas, arrivant à Carpentras, je commets
l’erreur de demander au chauffeur, un dévoué militant UMP, qui ne semble pas
voir le nombre effarant de femmes voilées, s’il y a bien aussi une communauté
française dans la ville ; ma blague, à juste titre sans doute, n’est pas
appréciée…
La salle qui nous accueille, une
ancienne église romane, n’est pas aussi déserte que nous le croyions,
confirmation que les Français restent piqués de politique, capables d’assister
à une causerie un samedi matin à onze heures, et tout à fait hors saison. Et
quel auditoire ! Les questions fusent, le débat est animé, et je sens une
douce complicité dans la salle quand j’attaque l’ami Karoutchi sur les
errements des gouvernements Sarkozy auxquels il a participés, ne me privant pas
de pointer la « forfaiture » du Traité de Lisbonne, comme la sotte
habitude prise par les candidats de Droite de se vouloir aussi ceux du Centre,
qui annihile tout. Curiosité : la salle, très sarkozyste, semble approuver
la critique de son idole… Une fois encore, lors du repas qui suivit dans un
petit restaurant de théâtre à murs rosés et volets verts (l’omelette aux
truffes ne fut pas le moindre délice secret du jour), je vérifiai que la base
de l’UMP est tranquillement droitière, sans hargne et sans complexe, comme on
l’aime. Enfin, comment ne pas ajouter, enfilant des joies qui viennent parfaire
le collier de la journée, la suite de signes que je reçois des uns et des
autres sur un sujet qui était pour moi l’un des intérêts de la journée :
ces militants UMP n’ont guère de griefs pour le pauvre hère qui a osé une
incursion dans les parages de Marine Le Pen, dont il est très facile, devant
ces gaullistes de bonne souche, d’expliquer les tenants, les aboutissants et
les leçons à en tirer. Ainsi pour le député Aubert, qui a bien compris, dans
son département très politique du Vaucluse, que seul un gaullisme authentique
(il est président de l’amicale parlementaire gaulliste et grand pourfendeur de
la supranationalité européenne) peut contenir la poussée du « marinisme »
et de sa concurrente locale Marion Maréchal. Dans le train du retour, nouvelle
conversation avec Aubert et Karoutchi qui m’en dit long sur les débats internes
à l’UMP, et longue rêverie à travers les vitres, tandis que le regard glisse
sur la France, à la recherche du titre à donner à ma « Lettre à Marine Le
Pen »...
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