Vendredi
10 janvier 2014. -- Drôle
d'impression, l'autre soir : tandis que, assez tard après minuit, je rentrais
rue de Rennes et traversais la place Saint-Sulpice, majestueuse et calme comme
elle l'est de coutume à cette heure, je fus intrigué par un inhabituel bruit de
fête. D'où venait-il ? Je connais autour de cette place quelques fêtards
patentés, mais cette fois le vacarme venait d'ailleurs ; la mairie pensais-je
d'abord, avant de m'approcher et de la découvrir calmement endormie sous son
fin clocheton et ses brumes de pluie. Hélas, c'était son voisin le Commissariat
qui était en fête, et j'aperçus clairement, à l'étage dont les fenêtres étaient
ouvertes, car il semblait qu'on avait chaud, de joyeux braves qui
s'apostrophaient, un verre à la main, la musique d' « ambiance »
n'empêchant pas que l'on captât fort clairement quelques éclats de voix.
J'espérais in petto que les habitants
de l'arrondissement n'avaient pas recours à ce précieux service public, et me
répétais qu'il était normal que l'on se
donne un peu d'air dans les Commissariats de police, de temps en temps, les
nuits calmes...
En
réalité, une sourde angoisse monta d'un coup, et ne me quitta plus tandis que
je prolongeais ma route par la rue de Mézières : d'un côté, je voudrais
continuer à penser que, de tous les services publics, la Police et la
Gendarmerie sont ceux qui se tiennent encore le mieux. Mais se tenir, justement, voilà qui est pour
eux de plus en plus difficile, quand leurs efforts sont régulièrement torpillés
par (une bonne partie de) la Magistrature, laquelle campe sur une pompeuse
posture de « contre-pouvoir » que rien ne justifie dès lors que le « Pouvoir »
qu'il s'agit de contrer, Parlement en tête, procède des urnes, aussi imparfaite
en soit la représentation, et donc du peuple français – peuple que les sires de
la Magistrature, certes, méprisent tranquillement, et désormais ouvertement,
comme le récent épisode dit du « mur des cons » l'a montré, ou confirmé. A
cette revendication de « contre-pouvoir » qui n'est qu'un corporatisme
fanatique, se mêle un copieux paquet d'insolence quand ces misérables la
drapent dans les plis de la « démocratie », dont ils se voudraient les garants,
quand bien même, cette démocratie qui est bel et bien « pouvoir du
peuple » (demos/kratos) leurs prétentions et leur laxisme sont-ils en
train de la torpiller. L'un des pires effets de la posture dite « indépendance
de la magistrature » qui est une imposture quand elle n'est plus qu'une indépendance
voilée vis-à-vis du peuple souverain, est évidemment de décourager année après
année les plus zélés agents de l'ordre public. Or, nous y sommes, et la boum du
Commissariat de police me paraît à cela tristement reliée. Je ne sais plus le
nom de ce Général, présenté comme le « numéro 3 » de la Gendarmerie Nationale,
qui déclarait avant-hier, devant une commission parlementaire, que 60 % des personnes interpellées dans les
Bouches-du-Rhône en novembre dernier ont quitté libres le Tribunal dans les jours
qui suivirent – y compris les récidivistes, d'ailleurs nombreux parmi les
interpellés....
Je
ne pouvais plus, hier au soir, m'empêcher de regarder en face cette horreur :
que plus aucun service public ne saurait remplir son rôle si les principaux
autres, Education, Justice, et jusqu'au plus élémentaire (en principe) contrôle
des frontières, n'accomplissaient plus leurs missions. Et de nouveau se dressa
devant moi, tandis que je tentais un trop tardif sommeil, l'ombre de ma vieille
hantise, l'anarchie – toujours plus proche qu'on ne le croit, ce dont
l'Histoire montrerait mille exemples si l'on gardait encore en tête deux sous
d'Histoire.
Pourquoi
aurions-nous des services publics dès lors qu'il n'y a plus d'Etat – et
pourquoi aurions-nous un Etat dès lors qu'il n'y a plus de nation ?
Je
retourne dans ma tête cet imparable raisonnement. Comme est fragile la
civilisation dès lors que, la nation se dissolvant, ou se refusant elle-même,
toute la chaîne de l'ordre public se relâche ; c'est à vous empêcher de
dormir...
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