Vendredi 14 février 2014. – Comme toujours, le retour à
Mirebeau est délicieux – j'aime ce village poitevin par sa banalité même, le
voisinage aléatoire de ses beautés cachées et de ses désolantes laideurs, les
grâces et les disgrâces des coteaux environnants... La tumultueuse installation
rue de Rennes, et surtout la campagne électorale à Paris m'empêchent d'y venir
souvent, et la grande maison, abandonnée depuis des semaines aux pluies et au
froid, paraît toute endormie au milieu des herbes humides. Le chat, que ma
camériste vient nourrir chaque jour mais que la solitude finit par engourdir,
hiberne dans un coin du salon ; il s'étire lentement à mon arrivée, déploie son
indifférence ostensible, mais ronronne dès la première caresse, puis me suit
partout, peut-être pour s'assurer que je ne repars pas – de toute la
soirée, ses ronronnements ne cessent
plus. Je pousse la chaudière, puis allume de grands feux dans les cheminées.
Dîner frugal et délicieux (bon bourgogne, jambon fumé et fromages de chèvre
très vieillis...), puis me couche avec l'énorme amas de journaux trouvé dans la
boîte aux lettres – qui me ramène hélas aux préoccupations de Paris... Mais ici
les « nouvelles », c'est-à-dire les mauvaises nouvelles, perdent un
peu de leurs alarmes, et l'épouvantable état des affaires de la France paraît
moins dramatique, comme désamorcé – raison de plus pour souhaiter que les
Franciliens repeuplent les régions à moitié désertées : il le faut non
seulement pour redonner vie à nos campagnes, notre grand joker, et pour
décongestionner le tentaculaire Paris, mais aussi pour restaurer l'art de vivre
en France et regagner l'espoir qu'elle puisse un jour être redressée.
Ai découvert dans un Valeurs Actuelles du mois dernier un bel article de Robert Redeker
sur Albert Camus – notamment ces deux phrases qui montrent combien le Prix
Nobel, qui se disait de gauche comme on l'était au XXe siècle (pour être du
coté du peuple, des opprimés et des
pauvres gens – tout ce qui fait que l'on est aujourd'hui de droite) « rejetait
en même temps l'armature intellectuelle de la gauche, le progressisme
historique, et même l'évènement supposé réaliser ce progrès, la Révolution
française ». Redeker relève cette phrase de L'Homme Révolté : « Les principes de 1789 préparent les deux
nihilismes contemporains, celui de l'individu et celui de l'Etat ». Forte
phrase : là où la civilisation française reposait sur un secret mais distant
accord entre les individus et l'Etat, entre les Français et Paris, qui
empêchait l'hypostasie d'aucun des deux pôles, encadrés par les Corps, les
Corporations, mais aussi les provinces – le « Roi en ses Etats », la
République a substitué un tête-à-tête qui a poussé l'un et l'autre dans l'excès
de leurs logiques propres.
De Camus encore : « Je ne crois pas
assez à la raison pour souscrire au progrès », qui n'est pas d'un homme de
gauche, ni même d'un Moderne (c'est à peu près la même chose) mais d'un pur
classique. La pensée classique a plus d'alliés qu'on ne croit. Là-dessus,
éteignons nos mes feux ; rien n'égale un long sommeil au fond d'une maison
éloignée, toute endormie parmi les brumes...
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