Journal de Paul-Marie Coûteaux

"Une certaine Idée de la France et du monde"

La vertigineuse addition des délires du système des partis, de l'égotisme de notre bocal politique où se sont perdus, hélas, ceux qui ont tour à tour prétendu relever le drapeau, d'une longue suite de gouvernements nuls, de l'incurie de dirigeants qui n'ont de responsables que le nom et, par-dessus tout, de l'oubli par notre peuple de tout souci de lui-même, a créé autour de nous une situation certes douloureuse mais que la France a souvent connue : le chaos. Nous voici près de ce que Bainville appelait la "récurrente anarchie française", dont nous n'apercevons encore que les premiers prodromes. Ce n'est pas une raison pour croire que la France se meure. Qui connaît l'Histoire sait qu'elle en a vu d'autres, et que l'essentiel est toujours, et en dépit de tout, de faire vivre une idée de la France, et à travers elle une idée de la diversité et de la beauté du monde. Cette idée resurgira tôt ou tard : il suffit de la garder au coeur, de distinguer ce qui meurt et ce qui vit, de voir, de comprendre, de protéger la langue, et d'écrire. Voici la suite d'un journal que je tiens depuis 1992, dont j'ai déjà fait paraître des extraits dans un ouvrage, "Un petit séjour en France", ainsi que divers blogues-notes, "For intérieur" puis "Une certaine Idée"...


mercredi 12 novembre 2014

Samedi 8 novembre deux mil quatorze, Chabreville

Ai dû interrompre hier ce journal pour aller prendre mon train, et m’en venir respirer le grand air de ces contrées, dont on ne sait si elles doivent être dites charentaises ou périgourdines – nous sommes aux confins, comme presque partout en ce pays où les provinces, maréchaussées, régions et autres n’ont jamais eu de très précises limites... Hélas, même ici, la déliquescence de la politique, et plus précisément de ce que Debray nomme « l’effondrement de la culture politique », si criante dans la prestation du pauvre Hollande, me poursuit jusqu’au milieu de ces arbres paisibles dans leurs brumes – pour ainsi dire, elle me hante. Elle pose des questions en tous genres, comme on dit, et comme je l’écris ici pour ne pas parler d’accablements. J’en vois au moins trois – s’ajoutant à celle que je disais hier sur la disparition du sentiment de la grandeur, consubstantielle à mon sens à toute œuvre ou autorité politique.

            Pour commencer, mieux vaut ne pas trop se demander comment le bonhomme Hollande a pu être élu, il y a deux ans et demi, par plus de 18 millions de Français, et par presque tout « l’établissement », en tous cas l’immense majorité de ses ténors, y compris ceux qui le firent en sourdine – flopée des gauches en tous genres, des centristes de tout poil, et des « ni-droite ni-gauche » de toutes espèces, jusqu’à Marine Le Pen, tous ensemble réunis dans une commune détestation de Nicolas Sarkozy. En fait, le Système, et sans doute une bonne part du peuple français, l’a choisi justement parce qu’il était médiocre. Comment croire qu’ils ne l’ont pas fait en connaissance de cause ? Sa médiocrité se voyait à l’œil nu ! Je me souviens de mon effarement quand on apprit que la primaire socialiste avait été remportée par ce petit bout de bonhomme replet, archétype du bourgeois rondouillard et niais du théâtre de boulevard. Certes, je ne le connaissais pas (mise à part une courte, très courte rencontre à l’Assemblée nationale au temps où je réalisais pour France Culture un documentaire sur l’Assemblée nationale), mais je savais bien que le personnage n’avait nullement l’envergure de la fonction à laquelle il prétendait. Non, les socialistes n’avaient rien de mieux à proposer parce que, justement, cette médiocrité là est inscrite dans l’époque, celle qu’ils dominent, leur époque… Pour le Système au cœur duquel ils se trouvent, c’est justement ce qu’il fallait : un homme qui incarne si mal et si peu l’État qu’il puisse le réduire à presque rien par sa propre personne. C’est je crois le véritable ressors du phénomène médiatique, de la vaste Ligue des Importants qui l’a rejeté aussitôt après l’avoir fait élire. Gracieuse entourloupe : faire élire un petit bonhomme que l’on puisse, à peine l’a-t-on élu, vouer aux gémonies – le couronner pour pouvoir jeter l’État à la poubelle avec lui.

            Hollande arrive à point pour ajouter à la déconfiture générale du politique. Certes, je suis de ceux qui aujourd’hui l’accablent – et les extraits que j’ai entendus sur France Info, jeudi soir en dînant, et qui m’ont inspiré quelques touittes ont encore enfoncé le personnage... Mais nous devrions donner des limites à ce facile dénigrement : car ce que M. Hollande éprouve, c’est, outre les limites de sa personne, celles dans lesquelles on a depuis trente ans enfermé sa fonction, cette foncière impuissance de la puissance publique que les souverainistes pointent depuis vingt ans et qui domine la période, très au-dessus de cet épisodique quinquennat. Monsieur Hollande patauge, mais c’est avec lui toute une nation qui patauge pour avoir elle-même détruit les instruments d’une quelconque action collective : ce n’est pas lui, pas lui seulement, qui a depuis vingt ans jeté par-dessus bord les leviers de la souveraineté, pas lui seulement qui a légitimé les hégémonies régnantes : l’hégémonie de la Magistrature, celle des Syndicats, celle des Médias, celle de Bruxelles, celle de Washington. Et ceux qui ricanent n’ont-ils pas accepté que ces ricanements, dont toute une génération babacoule s’est fait une spécialité, abaissent l’État et réduisent à rien son prestige, partant son autorité ? Ceux qui demandent sans cesse n’ont-ils jamais songé que ce sont aussi leurs revendications sociales enchevêtrées qui ont alourdi l’État de tant de graisses qu’il est finalement frappé de cette paralysie générale dont à présent ils se moquent ?  Combien ont adoré les fléaux dont tout Président de l’A-République est prisonnier ?


            (Il est d’ailleurs notable que le seul îlot d’État dont le poste de commande réagit encore parce qu’il est son cœur même depuis ses origines les plus lointaines, l’armée, soit le seul moyen qui ait permis à M. Hollande de se hisser furtivement à la hauteur de ce que l’on peut attendre d’une République – je pense aux interventions en Afrique, Mali puis Centrafrique..)

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