Journal de Paul-Marie Coûteaux

"Une certaine Idée de la France et du monde"

La vertigineuse addition des délires du système des partis, de l'égotisme de notre bocal politique où se sont perdus, hélas, ceux qui ont tour à tour prétendu relever le drapeau, d'une longue suite de gouvernements nuls, de l'incurie de dirigeants qui n'ont de responsables que le nom et, par-dessus tout, de l'oubli par notre peuple de tout souci de lui-même, a créé autour de nous une situation certes douloureuse mais que la France a souvent connue : le chaos. Nous voici près de ce que Bainville appelait la "récurrente anarchie française", dont nous n'apercevons encore que les premiers prodromes. Ce n'est pas une raison pour croire que la France se meure. Qui connaît l'Histoire sait qu'elle en a vu d'autres, et que l'essentiel est toujours, et en dépit de tout, de faire vivre une idée de la France, et à travers elle une idée de la diversité et de la beauté du monde. Cette idée resurgira tôt ou tard : il suffit de la garder au coeur, de distinguer ce qui meurt et ce qui vit, de voir, de comprendre, de protéger la langue, et d'écrire. Voici la suite d'un journal que je tiens depuis 1992, dont j'ai déjà fait paraître des extraits dans un ouvrage, "Un petit séjour en France", ainsi que divers blogues-notes, "For intérieur" puis "Une certaine Idée"...


mardi 4 novembre 2014

Dimanche 2 novembre deux mil quatorze

Paris, où les nuits sont encore plus belles que les jours... Nuits blanches et soyeuses, jours gris et studieux ; je poursuis la lecture du Louis XV de Petitfils, dont la langue est si belle, si bien empreinte de celles que maniaient ses personnages,  que des régals de phrases s'enchaînent les uns aux autres. Telle celle-ci, pleine de sens, de l'Evêque prédicateur Massillon  : « Sire, le Royaume sur lequel le Ciel vous a établi est assez vaste, soyez plus jaloux  d'en soulager les misères que d'en étendre les limites »...

     La journée est marquée par les commentaires des longues échauffourées qui ont secoué dans la journée d'hier plusieurs villes de France, notamment Nantes et Toulouse, après la mort d'un jeune militant de l'association « France, Nature, Environnement » protestant contre la construction d'un barrage dans le Tarn – barrage qui en effet paraît bien inutile, à tout le moins disproportionné, et dont les travaux ont déjà enlaidi le paysage tout alentour. En soutien à ces mouvements, j'ai multiplié les touittes, dont la radicalité m'a valu bien des critiques ; radicalité relative d'ailleurs, qui s'explique en partie par l'impératif de concision qu'impose l'exercice touittage, mais aussi par la colère que m'inspire périodiquement, dans les promenades en France, le saccage de nos paysages, où l'on ne voit que trop que l'équipement compte pour tout, l'équilibre et la beauté pour rien – le barrage de Sivens ou l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes n'étant que les symboles d'une entreprise générale de prédation de nos territoires.  Sans doute faut-il se démarquer des violences qui ont causé d'autres saccages (mais le moyen de protester dans ce monde où l'on dirait qu'il n'y a place, et de tout côté, que pour ce qui détruit – ou « déconstruit »...) ; sans doute faut-il prendre quelque distance avec les slogans stupides qui souvent les accompagnent. Mais je n'en démords pas : la cause de la France rurale, qui est celle de la France tout court, sa nature et son environnement, cette cause est précieuse, dans le fil de la défense de la nature humaine, ou de la famille naturelle qui fit le fond, à mon sens, des « Manifs pour Tous », ce dont je voudrais m'expliquer ici.

         Il me semble que la protestation contre le « mariage » homosexuel, et celle des jeunes défenseurs de l'environnement, de l'agriculture bio, des ressources naturelles, ne fait que retrouver le paradigme de la « Mère Nature » qui est au fondement de notre civilisation – ce fut l'un des grands thèmes des Classiques, justement... Commencerions-nous enfin à mettre en question, par plusieurs voies,  la folle idéologie du progrès, la logique prométhéenne du « no limit », le refus obstiné de poser des frontières à l'aventure humaine, cette antique vertu qu'illustre par exemple, dès les premières pages de la Bible, la parabole de la Tour de Babel ? Sortirions-nous enfin de l'arraisonnement de toute vie, qu'elle soit végétale, animale ou humaine à la Technique et ses deux comparses démesurés, le Commerce et la Consommation – le fameux Gestell d'Heidegger ou le « Système Technicien » de mon vieux maître bordelais Jacques Ellul ? Apercevrions-nous enfin que les délires « progressistes » étouffent non seulement la Nature qui environne l'Homme, mais aussi la Nature humaine, l'Homme en lui-même – « l'Humanité de l'Homme » dirait un essentialiste ? De ce point de vue, une génération qui ne croit plus guère aux illusions totalitaires du progrès sans limite, au matérialisme techno-marchand comme solution à tous les maux, au « tout est possible » (slogan soixante-huitard qu'avait choisi Mitterrand lors de la campagne présidentielle de 1974), est en train de retrouver, sans savoir quels mots lui donner,  l'archaïque qui a fondé toute notre civilisation en ses différents rameaux, le chrétien qui voit la Nature comme don du Créateur, donc un donné indépassable, le grec et son refus de l'hubris (la démesure), le latin de la « Voie romaine » selon Brague, du neque nimis (« rien de trop ») et de ce stoïcisme qui est sans doute l'un des meilleurs legs de notre Antiquité...

       Comment ne pas saluer ces antiques réflexes, si accusatoires pour la civilisation atlantique qui fut surtout une immense décivilisation européenne et française ? Comment ne pas encourager cette résistance identitaire « venue du fond des âges » comme l'a dit de Gaulle un jour de Juin face à un autre hubris, technicienne et sans frontiériste ? Comment ne pas approuver cette remise en cause de la culture américaine, du culte de la consommation indéfinie des choses et des Hommes devenus jetables (les travailleurs, les fœtus, les vieux, les maris, les femmes, les amants et les maîtresses collectionnés sans fin...), du culte universel de la prédation ? Comment ne pas espérer la chute de ce « Nouveau Monde » qui ne fut qu'une criminelle « Tabula Rasa » après que les rescapés du « May Flower » eurent jeté par-dessus bord à peu près nos principes antiques ? Comment ne pas instruire autour du paradigme de la Nature, à la fois une droite qui cesserait de tomber dans les pièges affriolants du progressisme et du modernisme et un autre modèle de développement humain qui ne soit pas tant décroissance que déconsommation ordonnée, au bénéfice d'une autre croissance fondée sur la Nature et la Culture – et, dans ces domaines, sur l'investissement et la recherche ? Et comment ne pas voir, dans ces prémisses encore balbutiants, une autre voie qui serait d'abord une nouvelle voix de la France dans le monde ? Encore une fois, à Sivens, à Nantes ou à Toulouse, comme, l'an dernier, sur le Champ de Mars et son million de manifestants contre le mariage génétiquement modifié, c'est la France qui montre l'exemple...  

       Dire tout cela dans de courts « touittes » n'est pas facile : en 140 signes, la pensée se caricature elle-même ; mais il ne m'est pas inutile de condenser ce que j'ai à dire, et à quoi je ne suis pas assez porté, et de tenter de faire mouche en quelques mots. Lorsque j'écrivais, hier : « Avec les jeunes de Nantes pour une France libérée des diktats du consumérisme, de la marchandisation de la nature et des hommes », ou encore : « La croyance en ce faux progrès laisse penser aux imbéciles que tout ce qui est nouveau est supérieur », je vois bien que je ne peux m'expliquer tout entier – mais du moins posais-je des pierres, auxquelles je peux donner forme dans ce Journal. 

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