Journal de Paul-Marie Coûteaux

"Une certaine Idée de la France et du monde"

La vertigineuse addition des délires du système des partis, de l'égotisme de notre bocal politique où se sont perdus, hélas, ceux qui ont tour à tour prétendu relever le drapeau, d'une longue suite de gouvernements nuls, de l'incurie de dirigeants qui n'ont de responsables que le nom et, par-dessus tout, de l'oubli par notre peuple de tout souci de lui-même, a créé autour de nous une situation certes douloureuse mais que la France a souvent connue : le chaos. Nous voici près de ce que Bainville appelait la "récurrente anarchie française", dont nous n'apercevons encore que les premiers prodromes. Ce n'est pas une raison pour croire que la France se meure. Qui connaît l'Histoire sait qu'elle en a vu d'autres, et que l'essentiel est toujours, et en dépit de tout, de faire vivre une idée de la France, et à travers elle une idée de la diversité et de la beauté du monde. Cette idée resurgira tôt ou tard : il suffit de la garder au coeur, de distinguer ce qui meurt et ce qui vit, de voir, de comprendre, de protéger la langue, et d'écrire. Voici la suite d'un journal que je tiens depuis 1992, dont j'ai déjà fait paraître des extraits dans un ouvrage, "Un petit séjour en France", ainsi que divers blogues-notes, "For intérieur" puis "Une certaine Idée"...


mercredi 29 octobre 2014

Mardi 28 octobre deux mil quatorze, Paris.


Visité ce matin un charmant appartement situé, fort bien, dans la partie de la rue de Verneuil qui va de la rue du Bac à la rue de Beaune. Il est à craindre que je ne cède un peu vite à ce charme et ne fasse une offre, qui m’engagerait imprudemment sans même que celui de la rue de Rennes ait été vendu. Cette rue de Rennes, je ne serai pas mécontent de la quitter, aussi clair et calme que soit le grand appartement découvert dans l’été 2013 où j’aurai en un an vécu tant et tant d’aventures. Le plus drôle est que, à peine m’y trouvais-je installé, j’eus assez vite la certitude de n’y pas faire long feu. Il n’y a pas seulement que mes projets d’établissement ont tourné court ; mais aussi la rue de Rennes en elle-même, trop large, trop commerçante et affairée pour correspondre à cet « esprit VIe » dont je ne peux me déprendre ; et par-dessus tout cette tour hideuse dressée sur le pauvre Mont Parnasse, champignon incongru capable de briser à lui seul toutes les perspectives alentours. Peut-être ne devrais-je pas laisser mon regard s’y poser chaque fois que je sors de chez moi. Pourquoi regarder ce qui est laid ?

            Ainsi de tout d’ailleurs, des promenades en ville ou bien à la campagne, des voyages ou de tout ce qui arrive : il faudrait s’apprendre à ne porter son regard que sur les belles choses. J’y parviens, quelquefois : au détour d’une route qui de Mirebeau va à Loudun, on aperçoit sur la droite un très noble et très luxuriant paysage, doux comme la France ; et, sur la gauche, une triste succession de fermes abandonnées, flanquées de hangars et de ferrailles. Je me suis  appris à regarder sur la droite et à négliger, sur la gauche, les laideurs devenues ordinaires ; mais je n’aurai jamais appris à ne pas regarder cette maudite tour Montparnasse qui gâche jusqu’au plaisir d’habiter dans ce quartier. Dompter son regard devrait devenir une règle, et même une sorte d’éthique. Je repense souvent au précepte que m’a confié cet été le cher A.F.-A. tandis que, cheminant en voiture à travers la moelleuse Charente, nous tombâmes nez à nez sur un immense hangar dont la laideur jetait une ombre sur tous les horizons, et qu’il tient de sa mère : « ne regarde pas ce qui est laid, tu vas t’abîmer les yeux. »

            Inconsciemment, samedi dernier, j’ai retrouvé ce réflexe en quittant le triste spectacle que donnait notre congrès, envahi par une centaine de nouveaux venus que le sombre affidé de Marine Le Pen avait rameutés au dernier moment pour assurer son élection ; il faisait peine à voir – car c’était bien de vue qu’il s’agissait. En somme, je suis sorti presque sans mot dire par réflexe esthétique, pour ne pas m’abîmer les yeux, et le caractère. Peut-être aurais-je dû argumenter davantage ; mais dire plus qu’un mot à ces quidams qu’unissait seul le bas appétit des places et des investitures ne valait pas la peine : mieux valait détourner le regard, c’est-à-dire partir.

            Samedi, dans le désarroi qui m’étreignait à la tribune, j’ai pensé, comme d’habitude, qu’il fallait laisser les choses aller au bout d’elles-mêmes, cantonner dans leur coin les plus mauvais visages de l’espèce humaine  et savoir se détourner pour confier à la plume la mission, qu’elle seule peut remplir, de remettre tout et tous à leur place. Écrire, c’est donc ce que je fis hier en m’adressant à celle dont la célèbre flamme brûle quiconque l’approche sans s’affilier, et qui est pour moi l’unique responsable de la mascarade. La lettre que je lui ai adressée, qui dans ce journal occupe l’entrée d’hier et que mes amis diffusent alentours, a reçu d’innombrables échos, à peu près tous favorables et souvent fraternels. Mettons de coté quatre ou cinq insultes, bien peu au regard des témoignages qui m’arrivent aujourd’hui de tous côtés par téléphone, par courriel ou par twitter – et même dans la rue tandis que je revenais tout à l’heure de la rue de Verneuil par le boulevard Saint-Germain et que m’accosta une personne qui n’était pas de mince envergure : nous eûmes je crois le même sourire en convenant que la France n’avait décidément pas de chance, non seulement par la succession de dirigeants qu’elle s’inflige, mais aussi par la triste succession de ceux qui prétendent la défendre…


          Autre satisfaction, ce soir : les échos qui parviennent de Tunisie, où les élections de dimanche portent bien des promesses. Que la jeune Tunisie s’émancipe cahin-caha de la gangue totalitaire, qu’elle retrouve sa proximité avec la France, ses principes et sa langue, par là son rôle dans la francophonie et la coopération méditerranéenne, voilà qui ouvre un peu de ciel bleu au-dessus de nos têtes ; bien entendu, plutôt que les noirs nuages qui passent, c’est ce ciel qu’il faut offrir à nos regards.

lundi 27 octobre 2014

Lundi 27 octobre deux mil quatorze, Paris

Depuis le congrès pantalonesque du SIEL, samedi dernier, qui devait de toutes façons mettre fin à mon mandat triennal de président, en somme depuis que je me trouve enfin rendu à ma liberté et que je respire (qui a dit : « loin des imbéciles, l'air est pur » ?), je n'ai pas de plus grand appétit que celui d'écrire – écrire mes livres inachevés, pour commencer, mais aussi une longue lettre ouverte à Marine Le Pen, sous la forme d'un ouvrage qui devrait paraître au Printemps, et dans l'immédiat une lettre plus courte à elle expédiée dès ce jour, que je vais envoyer ce soir aux membres du SIEL, accompagnée d'un mot pour leur dire au revoir . Aussi, écrire plus sérieusement et régulièrement ce Journal, dit aussi « bloc-notes », tant négligé ces derniers temps.  Voilà bien, pour commencer, la matière de l'entrée d'aujourd'hui, en manière de poupées russes...

Chers amis, le spectacle qu’a offert notre congrès, samedi dernier, était fort affligeant, comme je ne le prévoyais que trop. La règle que j’avais posée à la fin du mois de septembre en convoquant notre congrès, règle de bon sens qui voulait que soit arrêté le collège électoral la veille du scrutin pour établir la liste des électeurs, à été foulée aux pieds par l’arrivée massive, au dernier moment, d’un grand nombre de personnes inconnues qui exigèrent de prendre leur carte. Je n’ai pas cru devoir m’y opposer autrement qu’en protestant, de crainte que l’agressivité ne s'accroisse et que l’image du SIEL ne soit d’avantage encore ternie. Je me suis borné à dénoncer ce coup de force, puis à quitter les lieux en demandant à la police de les protéger – me trouvant, en tant que président du SIEL, responsable de la sécurité de tous. Je n’ai donc pas pu vous dire au revoir ; mais cet au revoir signifiant justement que je gardais l’espoir que nous nous retrouverons un jour tous ensemble au service de notre cause commune,  l’indépendance, la singularité et la grandeur de la France, cet au revoir était superflu, n’est-ce pas ? Cependant j’ai tenu à mettre les choses au point avec celle qui, par son refus de tout partenariat avec notre petit mais vaillant parti, par son mépris répété de notre dignité commune, de celle de chacun de nous, et de la mienne propre, a créé une situation inextricable. Je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le texte de la lettre que j’ai adressée à la présidente du Front National, envoi ultime par lequel je demande à chacun de vous de rester fidèle à la grande cause de l’unité des patriotes et vous dis à bientôt.
                               
Lettre ouverte à Le Pen

     Ce qui s'est passé samedi lors du Congrès du SIEL m’a fait penser à vous, et simultanément à ce que l’on nomme dans nos campagnes un « bull » – non pas un pitbull mais un bulldozer, qui renverse tout et détruit tout.

    Car voilà bien le point : pour vous, quiconque n’est pas entièrement aligné devient un ennemi à éliminer par tous les moyens. Parce que je ne suis pas entré au FN tout en vous soutenant lors la présidentielle de 2012, préférant créer un parti politique qui, dans mon esprit, pouvait devenir pour vous un partenaire et vous aider à dépasser un Front dans lequel il me paraissait dangereux que vous vous enfermiez ; parce que je prétendais être un allié mais point un rallié et qu’il me paraissait normal à ce titre de développer des points de vue qui ne nous étaient pas toujours communs (par exemple sur la politique économique, la Manif pour Tous ou sur la cruciale question des alliances), vous avez tout à trac décrété le 7 avril que je n’étais plus président du SIEL, désignant aussitôt pour me remplacer l’un de vos hommes liges. A bien y regarder, ce coup de tête était incongru car on n’imagine pas, en France, que la présidente d’un parti désigne celui d’un autre parti, fût-il son allié – et que, par exemple, le premier secrétaire du PS nomme le président du PRG. Incongru mais aussi attentatoire à la dignité, pour commencer la mienne propre, comme si je devais déguerpir sur un claquement de doigts, mais aussi à la dignité de ce petit parti dont les quelque 500 adhérents auraient mérité qu’on ne leur passe pas sur le corps, et par-dessus le marché à la dignité de notre vie publique. Faire main basse sur les partis deviendra-t-il une habitude ? Tout vous est peut-être promis, Madame, mais tout ne vous est pas permis.

      Pire : alors que vous m’aviez donné votre parole de ne pas intervenir dans les affaires du SIEL, parole dont j’ai vérifié en cette occasion qu’elle ne valait pas grand chose, vous avez encouragé votre candidat à fouler aux pieds plusieurs articles des statuts du SIEL, l’assurant de votre soutien lors d’un prétendu « congrès extraordinaire » qui l’était en effet puisqu’il ne répondait à aucune des conditions posées par nos statuts ; de même, vous l’avez laissé déposer en préfecture, en catimini, un bureau entièrement à sa main comme si le bureau régulier n’existait pas ; vous l’avez présenté comme président alors qu’il n’avait été élu par aucune instance – ce que vous fîtes le 20 octobre à LCI et Radio Classique, déclarant « je m’entends très bien avec M. Ouchikh, président du SIEL », phrase ridicule puisqu’il n’était président que par votre décret et que vous ne pouvez que bien vous entendre avec un quidam à votre botte.

    Un bulldozer ne s’arrête jamais. A l’approche du congrès où j’avais annoncé que je ne demanderai pas le renouvellement de mon mandat, toutes les intimidations furent bonnes. Oubliant votre promesse de ne pas intervenir (promesse formulée par un SMS que j’ai en archive) vous avez pris la tête d’un comité de soutien dans lequel tout l’état-major de votre parti-bunker figurait au complet, de votre nièce Marion à MM. Philippot, Aliot, Bay et j’en passe, jusqu’à faire vos fonds de tiroirs pour embrigader Béatrice Bourges et mon ancien assistant parlementaire, lequel dut envoyer un message de soutien à votre favori, un pistolet sur la tempe – comme l’a dit l’un des participants effaré, il ne manquait plus que le Pape, le Dalaï-Lama et la reine des Gitans. Passons sur les pressions ordinaires, quand vos sbires laissent entendre à quiconque ne suivrait pas votre diktat que toute carrière politique lui serait fermée, tandis qu’on promettait mille investitures à ceux qui ployaient, votre directeur de cabinet allant jusqu’à menacer toute rupture de relations avec l’un de nos candidats, M. Marsaud de Labouygue,  s’il ne se retirait pas – j’ai aussi ce SMS dans mes archives. L’arme financière ne pouvait manquer : alors que le financement public attaché aux 37 candidats que le SIEL présenta aux Législatives de 2012 transite par le FN selon une convention établie en due forme, vous retenez sans vergogne notre dû, n’en donnant qu’un tiers par chèque expédié non au siège de notre parti mais à l’adresse professionnelle de votre candidat – donnant entendre que,  s’il n’était pas élu, ce serait l’asphyxie.

      Rien ne vous retient jamais de tout écraser : intimidant tout le monde, des dizaines de membres de votre parti ont investi les lieux du congrès en exigeant de prendre la carte du SIEL afin de participer au vote ; la plupart de ces « nouveaux membres » ne savaient guère ce qu’était le SIEL, mais il fallait à tout prix faire des voix pour soutenir votre candidat, réfuté par la majorité de nos membres. Dans de telles conditions, aucune élection ne pouvait avoir lieu, serait-ce seulement qu’il était impossible à notre huissier de déterminer le collège électoral. Au milieu des invectives, j’ai préféré quitter la salle à peu près sans mot dire sinon dénoncer le coup de force, me bornant à demander à mes amis d’en faire autant, et faisant appel à la police du quartier pour protéger les lieux, lesquels étaient placés sous ma responsabilité. Dans une telle situation, les trois autres candidats se retirèrent, votre obligé étant élu par 99 % des votants.

     Ainsi furent données aux yeux de tous les preuves que j’attendais : d’abord, que les vieux démons ont la vie dure, et que votre parti dont j’ai pu apercevoir au fil des derniers mois quelques aspects peu ragoutants, est loin de mériter la dédiabolisation dont vous vous targuez ; les « gros bras » qui ont fait irruption samedi, hurlant et vociférant, multipliant fausses accusations, insultes et menaces (notre secrétaire général fut physiquement menacé, s’entendant dire par deux personnes, dont un de vos secrétaires départementaux, qu’on allait « lui faire la peau ») rappellent les époques où s’illustra votre parti et que l’on aurait aimé croire de bonne foi révolues ; ensuite, que vous n’honorez ni votre signature, bien claire au bas de la convention qui nous lie et que vous n’avez pas respectée, pas plus que votre parole ; enfin, que vous n'avez et n’aurez jamais l’esprit de partenariat. Tout cela explique l’absolue solitude du parti que vous dirigez d’une poigne de fer, et qui est d’ailleurs coupé d’un grand nombre de personnalités et groupes dont il aurait été dans votre mission de rassembler ; il explique que, le SIEL étant mort, le prétendu « Rassemblement » Bleu Marine, réunion du FN et du FN, et trois comparses, ne soit qu’une misérable coquille vide. 

      Votre attitude ou votre tempérament, votre incapacité chronique à travailler avec quiconque n’est pas votre valet, ruinent l’idée que vous puissiez jamais nouer quelque alliance que ce soit, ces alliances que rendent pourtant nécessaires les institutions de la Ve République et notamment l’élection présidentielle à deux tours ; elle démontre, contrairement aux vaticinations de certains politiciens de votre entourage, une incompatibilité plus foncière que je ne l’aurais pensé, entre l’héritage politique du général de Gaulle et votre parti ; elle ruine enfin l’idée que vous soyez un jour apte à gouverner la France, sauf à confondre votre parti et le gouvernement. Ce n’est pas très grave pour vous car gouverner n’est pas votre objectif, comme ce ne fut pas celui de votre père ou de votre famille en général, qui a peut-être d’autres préoccupations ; c’est plus grave pour des millions de Français dont vous captez et finalement détournez la colère sans pour autant constituer une force qui puisse être dite gouvernementale – vos électeurs étant de pauvres hères  hurlant à tue-tête mais ficelés sur leurs chaises, car c’est pour ainsi dire leur neutralisation politique que votre égocentrisme partisan assure perpétuellement. Seul gagnant de ce jeu infernal, outre vous-même et votre gang : le Système que vous prétendiez pourfendre mais que votre stratégie « ni droite ni gauche », vous plaçant  hors de toute perspective gouvernementale, met à l’abri de toute menace populaire.

     Parce qu’ils ne savent faire qu’une seule chose, foncer et défoncer, les bulldozers s’abîment vite et je ne peux m’empêcher de songer à votre sujet au Parti communiste qui, en 1945, avait atteint près de 30 % de l’électorat et qui, après avoir égaré une bonne part de notre peuple dans les chimères du sectarisme, a laissé son appareil gagner par la rouille, comme les vieux bulls remisés dans les hangars de nos campagnes. L’âme des peuples et les incarnations qu’elle se donne tour à tour fait l’histoire, pas les machines, ni les partis. Tant mieux pour la France !

                                                               Paul-Marie Coûteaux