Journal de Paul-Marie Coûteaux

"Une certaine Idée de la France et du monde"

La vertigineuse addition des délires du système des partis, de l'égotisme de notre bocal politique où se sont perdus, hélas, ceux qui ont tour à tour prétendu relever le drapeau, d'une longue suite de gouvernements nuls, de l'incurie de dirigeants qui n'ont de responsables que le nom et, par-dessus tout, de l'oubli par notre peuple de tout souci de lui-même, a créé autour de nous une situation certes douloureuse mais que la France a souvent connue : le chaos. Nous voici près de ce que Bainville appelait la "récurrente anarchie française", dont nous n'apercevons encore que les premiers prodromes. Ce n'est pas une raison pour croire que la France se meure. Qui connaît l'Histoire sait qu'elle en a vu d'autres, et que l'essentiel est toujours, et en dépit de tout, de faire vivre une idée de la France, et à travers elle une idée de la diversité et de la beauté du monde. Cette idée resurgira tôt ou tard : il suffit de la garder au coeur, de distinguer ce qui meurt et ce qui vit, de voir, de comprendre, de protéger la langue, et d'écrire. Voici la suite d'un journal que je tiens depuis 1992, dont j'ai déjà fait paraître des extraits dans un ouvrage, "Un petit séjour en France", ainsi que divers blogues-notes, "For intérieur" puis "Une certaine Idée"...


vendredi 28 février 2014

Un amour d'arrondissement

Dimanche 23 février. – En 1978, devant m'installer à Paris pour préparer l'ENA, un heureux hasard a voulu (si le hasard veut quelque chose) que je trouve refuge chez les parents de mon beau-père, qui habitaient place Saint-Michel, au numéro 6 - c'est-à-dire « côté sixième ». Merveilleux refuge ! J'habitais une petite chambre cossue, meublée empire, qui surplombait la grande place et sa fontaine, d'où j'apercevais les couples qui se donnaient rendez-vous – c'était une distraction de voir un jeune homme, ou une jeune femme, attendre, se morfondre, regarder sa montre, s'illuminer quand l'autre arrivait, tandis que se donnait libre cours la série des étreintes, ou des simples embrassades, ou des distants saluts... C'était Paris, la vie neuve, et pour le Bordelais de 21 ans que j'étais, une féérie. Les nuits m'enchantaient : chaque soir, les lumières s'allumaient de toutes parts, la ville était une grande dame qui se parait de bijoux pour sortir vers quelque fête... De jour, j'allais le plus souvent « coté sixième », vers l'Odéon, où les vieux cafés n'étaient pas chers, et souvent poussais jusqu'à Saint-Germain-des-Prés où, chaque fois, je me jurais de devenir écrivain – et de ne rien faire d'autre. Je descendais rue Bonaparte jusqu'au quai et entrais chez Sennelier, n'achetant rien souvent, sinon un  petit carnet canson ou bien une plume calligraphique. Bien entendu, j'allais de temps en temps à l'ENA, qui venait de trahir le VIe en déménageant, circ 1980, de la rue des Saints-Pères à la rue de l'Université, à trois pas : offense pardonnable, car j'ai toujours pensé que c'était presque le même monde jusqu'à la rue du Bac, que le VIe devrait annexer un jour – nous ne sommes pas opposés à certaines conquêtes territoriales, quand bien même ne l'inscrivons-nous pas au programme, pour cette fois-ci....

      Au 6ème, je fus à mon tour infidèle, m'installant quelques années rive droite, dans un dernier morceau de Halles qui n'étaient presque plus les Halles ; quand elles ne le furent plus du tout, je traversai de nouveau le fleuve et m'installai rue de Seine, qui me fit pour toujours, comme on doit, germanopratin. C'est là, à l'angle de la rue Jacob, où l'on entendait le bruit d'une petite fontaine dont l'eau, hélas, semble aujourd'hui tarie, que j'écrivis mes premiers livres – Lattès, mon éditeur se trouvait et se trouve toujours rue Jacob, le deuxième rue du Dragon, un troisième dans cette rue Servandoni, qui, entre Saint-Sulpice et le Palais du Luxembourg, est l'une des plus belles rues du monde – ex-aequo peut-être avec la rue de Seine, dont il faudrait certes améliorer la circulation mais qui, bien à l'abri entre l'Institut et le Boulevard Saint-Germain (« la Muraille de Chine », disait Blondin qui faisait semblant de ne le franchir jamais) n'est pas loin de figurer pour moi le centre du monde, une sorte de cocon qui le reçoit tout entier mais s'en protège, toujours calme comme l'épicentre tranquille de l'ouragan. Rue de Seine ! Quittée en l'an 2000, je l'ai retrouvée onze ans plus tard, passant alors, bien plus près des quais, de l'imposant 46 au petit immeuble du 25, vieillot au point d'avoir abrité D'Artagnan, mais bien en vue de l'Ecole Beaux-Arts, et presqu'à l'ombre des Académies, si près du fleuve que j'allai souvent, les nuits chaudes, prendre l'air sur le pont des Arts, qui est, par le Nord, la vraie porte d'entrée de l'arrondissement.

      Entre temps, j'ai furtivement habité rue Vavin, rue étroite fourmillante d'écoliers et de lycéens, par où l'on va d'un côté se promener au Luxembourg, où tant de choses arrivent, et de l'autre sur le Boulevard du Montparnasse où il arriva tant de choses – soit encore vers Notre-Dame des Champs, en traversant le Boulevard Raspail avec une bonne pensée pour le général de Gaulle qui vécut là une décennie... Mais mon plus long séjour fut, de 2001 à 2011, celui de la rue du Vieux Colombier, à l'angle de la rue Madame, d'où j'aperçus dix ans durant l'une des tours de Saint-Sulpice en réfection puis délivrée enfin, rendue à ses ciselés, délicate comme un gâteau en sucre. Je dus à la députation européenne de devenir pour la première fois propriétaire, et de mener meilleur train, prenant mes habitudes chez Lipp où les serveurs sont si aimables, ou chez Vagenende à la belle salle rococo, au bar du Lutétia ou du plus discret Hôtel de la rue des Beaux-Arts – ainsi que, le dimanche, en l'Eglise Saint-Sulpice, qui  vit passer et trépasser tant de nos gloires...


      Mais pourquoi parcourir ici toutes ces rues, où chaque pas m'est un souvenir ? Pour cette raison simple, découverte au fil de mes pérégrinations « sixièmistes », que l'on peut s'attacher à un quartier de Paris aussi amoureusement qu'à sa contrée, son village ou sa terre, que l'on peut trembler pour lui et l'air particulier qu'on y respire, se lamenter que son harmonie s'évapore et que vienne à s'effacer jusqu'à l'idée de lui-même... Or, c'est exactement ce qui survient à ce VIe qui est pour moi le réceptacle, pour ainsi dire la quintessence de la capitale de la France, en somme le tabernacle de l'esprit français, celui de la littérature et des beaux Arts, de la politique et des Lois, des passants chics et des parisiennes distinguées – distingué, mot si français, donc si difficile à traduire, donc si mal vu, qui dit justement comment la France est sans pareille. J'écris cela car je crois aussi que, au sens où la politique est un service, il n'y a pas de politique sans amour. J'écris ceci parce que j'aimerais que quiconque est appelé à représenter cet amour d'arrondissement consente pour lui davantage qu'un train-train de bonne gestion mollassonne et trouve le courage de se dresser comme chevalier devant son fief quand tant de périls l'assaillent.

1 commentaire:

  1. C'est par période. Souvent, les familles apparaissent et disparaissent en même temps.
    Cela semble s'être légèrement attenué depuis plusieurs mois, mais à certain moments, rien que sur la zone, boulevard St Germain, rue de Buci et rues et ruelles attenantes à Odéon, on peut avoir une dizaine (et plus pendant l'été 2013), de familles qui stationnent sur les trottoirs avec matelas, bagages et enfants, font leurs besoins contre les murs, les portes d'entrées. Marcher dans certaines ruelles revient à marcher dans la pisse avec la pregnante odeur qui va bien (Pour ce que j'ai observé, avec des variations de périodes, mention spéciale pour les rues Grégoire de Tours et Bernard Palissy). On peut également, rarement, mais c'est arrivé à plusieurs amis, en croiser dans sa cage d'escalier, ce qui est très rassurant. Bref, c'est un vrai bonheur.

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