Visité ce matin un charmant
appartement situé, fort bien, dans la partie de la rue de Verneuil qui va de la
rue du Bac à la rue de Beaune. Il est à craindre que je ne cède un peu vite à
ce charme et ne fasse une offre, qui m’engagerait imprudemment sans même que
celui de la rue de Rennes ait été vendu. Cette rue de Rennes, je ne serai pas
mécontent de la quitter, aussi clair et calme que soit le grand appartement
découvert dans l’été 2013 où j’aurai en un an vécu tant et tant d’aventures. Le
plus drôle est que, à peine m’y trouvais-je installé, j’eus assez vite la
certitude de n’y pas faire long feu. Il n’y a pas seulement que mes projets
d’établissement ont tourné court ; mais aussi la rue de Rennes en elle-même,
trop large, trop commerçante et affairée pour correspondre à cet « esprit
VIe » dont je ne peux me déprendre ; et par-dessus tout cette tour
hideuse dressée sur le pauvre Mont Parnasse, champignon incongru capable de
briser à lui seul toutes les perspectives alentours. Peut-être ne devrais-je
pas laisser mon regard s’y poser chaque fois que je sors de chez moi. Pourquoi
regarder ce qui est laid ?
Ainsi de tout d’ailleurs, des promenades en ville ou bien
à la campagne, des voyages ou de tout ce qui arrive : il faudrait
s’apprendre à ne porter son regard que sur les belles choses. J’y parviens,
quelquefois : au détour d’une route qui de Mirebeau va à Loudun, on
aperçoit sur la droite un très noble et très luxuriant paysage, doux comme la
France ; et, sur la gauche, une triste succession de fermes abandonnées,
flanquées de hangars et de ferrailles. Je me suis appris à regarder sur
la droite et à négliger, sur la gauche, les laideurs devenues ordinaires ;
mais je n’aurai jamais appris à ne pas regarder cette maudite tour Montparnasse
qui gâche jusqu’au plaisir d’habiter dans ce quartier. Dompter son regard
devrait devenir une règle, et même une sorte d’éthique. Je repense souvent au
précepte que m’a confié cet été le cher A.F.-A. tandis que, cheminant en
voiture à travers la moelleuse Charente, nous tombâmes nez à nez sur un immense
hangar dont la laideur jetait une ombre sur tous les horizons, et qu’il tient
de sa mère : « ne regarde pas ce qui est laid, tu vas t’abîmer
les yeux. »
Inconsciemment, samedi dernier, j’ai retrouvé ce réflexe
en quittant le triste spectacle que donnait notre congrès, envahi par une
centaine de nouveaux venus que le sombre affidé de Marine Le Pen avait rameutés
au dernier moment pour assurer son élection ; il faisait peine à voir –
car c’était bien de vue qu’il s’agissait. En somme, je suis sorti presque sans
mot dire par réflexe esthétique, pour ne pas m’abîmer les yeux, et le
caractère. Peut-être aurais-je dû argumenter davantage ; mais dire plus
qu’un mot à ces quidams qu’unissait seul le bas appétit des places et des
investitures ne valait pas la peine : mieux valait détourner le regard,
c’est-à-dire partir.
Samedi, dans le désarroi qui m’étreignait à la tribune,
j’ai pensé, comme d’habitude, qu’il fallait laisser les choses aller au bout
d’elles-mêmes, cantonner dans leur coin les plus mauvais visages de l’espèce
humaine et savoir se détourner pour confier à la plume la mission,
qu’elle seule peut remplir, de remettre tout et tous à leur place. Écrire,
c’est donc ce que je fis hier en m’adressant à celle dont la célèbre flamme
brûle quiconque l’approche sans s’affilier, et qui est pour moi l’unique
responsable de la mascarade. La lettre que je lui ai adressée, qui dans ce
journal occupe l’entrée d’hier et que mes amis diffusent alentours, a reçu
d’innombrables échos, à peu près tous favorables et souvent fraternels. Mettons
de coté quatre ou cinq insultes, bien peu au regard des témoignages qui
m’arrivent aujourd’hui de tous côtés par téléphone, par courriel ou par twitter
– et même dans la rue tandis que je revenais tout à l’heure de la rue de
Verneuil par le boulevard Saint-Germain et que m’accosta une personne qui n’était
pas de mince envergure : nous eûmes je crois le même sourire en convenant
que la France n’avait décidément pas de chance, non seulement par la succession
de dirigeants qu’elle s’inflige, mais aussi par la triste succession de ceux
qui prétendent la défendre…
Autre satisfaction, ce soir : les échos qui
parviennent de Tunisie, où les élections de dimanche portent bien des
promesses. Que la jeune Tunisie s’émancipe cahin-caha de la gangue totalitaire,
qu’elle retrouve sa proximité avec la France, ses principes et sa langue, par
là son rôle dans la francophonie et la coopération méditerranéenne, voilà qui
ouvre un peu de ciel bleu au-dessus de nos têtes ; bien entendu, plutôt
que les noirs nuages qui passent, c’est ce ciel qu’il faut offrir à nos regards.
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