À Paris, derechef
depuis hier au soir... Comme d'habitude, écrire est ici nettement plus
difficile, et je n'ai rien de plus pressé que de rentrer à Mirebeau, où la vie
est, l'hiver, plus close, plus solitaire est plus douce. Grand hâte de
retrouver les levers matinaux, la lampe qu'il faut allumer à neuf heures quand
je m'installe à ma table, la grisaille tranquille des jours, le silence des
chats – deux à présent, car j'ai finalement décidé d'adopter la petite chatte
de gouttière qui, depuis l'été, venait de plus en plus souvent faire des frais
à M. Pelléas, s'était d'abord installée dans le jardin et passait par la
chatière de la buanderie pour partager sa pitance dès que la voie était libre,
puis finalement s'est installée dans la maison, d'abord en se cachant, puis
s'enhardissant peu à peu jusqu'à se laisser caresser, après quoi l'adoption
était inévitable... Et retrouver les feux de cheminée allumés à l'heure du thé,
avant de refermer les volets et d'éclairer de pièce en pièce la grande maison
calfeutrée, les courses à la nuit tombée sur la place du village humide et
sombre, les dîners en musique et les lectures commencées de bonne heure. À
Paris, je ne parviens pas à respecter si bien mes rites – et même pas du
tout...
Du coup, j'ai pris du
retard dans ce journal, au point de sauter toute une semaine – pourtant riche
en évènements, ne serait-ce que le Congrès du Front national samedimanche
dernier à Lyon. J'avais, par un petit article envoyé vendredi dernier au site
« Boulervard Voltaire », anticipé l'apparition, ou la confirmation,
manifeste lors de ce congrès d'un conflit de stratégie entre celle de sa nièce
Marion, qui incarne une ligne droitière qui n'est pas pour me déplaire et sa tante,
inspirée par Florian Philippot consistant à capter tous les mécontentements du
pays en une ligne « droite-gauche » qui vire au gauchisme populiste
version PCF des grandes heures. Je transcris ici ce papier de circonstance,
pour lui-même d'abord, ensuite parce que les réactions qu'il a suscitées (155
!) me poussent à écrire une réponse que j'enverrai demain :
« En refusant
tout alliance, MLP maintient son parti hors d'un système qui ne demande pas
mieux...
À l'heure où s'ouvre le congrès du FN, un sondage révèle
que 64 % des sympathisants FN sont favorables à des alliances avec l'UMP, au
moins aux régionales. La netteté de ce chiffre jette un doute sur la légitimité
interne de la stratégie « zéro alliance » choisie par la présidente
et son grand inspirateur Florian Philippot.
Cette stratégie est simple, ou sommaire : UMP et PS
faisant la même politique (prémisse contestable), il faut récuser toute
alliance avec l'un quelconque de ses membres, miser sur une symétrique
démobilisation des électeurs UMP et PS-PC, recueillir tous les mécontents à la
fois et atteindre 50 % seul, puis gouverner avec les seules forces du parti :
restons purs ! Cette stratégie entre facilement dans les têtes : dénoncer
l'UMPS et par là l'ensemble de la classe politique fait d'autant plus recette
que celle-ci la mérite, tandis qu'une double déconsidération frappe Nicolas
Sarkozy et François Hollande. Les élections européennes ne l'ont-elle pas
montré ?
Oublions qu'une participation de 40 % situe les 25 % des
listes FN à 10 % des inscrits... La stratégie « zéro alliance » que
M. Philippot habille de gaullisme est de toutes façons démente et suicidaire.
D'abord de Gaulle, s'il n'a jamais résumé la France à la droite ou à la gauche,
ni jugé que l'on puisse gouverner sans faire appel à l'ensemble des Français, a
toujours été opposé, en 46 comme en 58, en 65 comme en 68, à la gauche – en 65,
il eut bien besoin du CNI... Surtout, faire des voix et gouverner n'est pas la
même chose : seul gouverner compte, sauf à jouer à la politique comme on joue
ou foute ou plutôt comme on en blablate au café. Or, le moment où tout se joue,
le second tour des présidentielles, rend nécessaires des alliances : gagne
celui qui rassemble son camp. Refuser toute alliance c'est sous couvert de se
démarquer de la droite, retomber dans les ornières du boulangisme, du
poujadisme ou de la Marche sur Rome, qui reprirent toujours le vieux « ni
droite ni gauche ». C'est surtout s'empêcher de remporter l'élection
cardinale et d'exercer le pouvoir – à moins de le prendre par la force puis de
confondre l'État et le Parti – confusion encore plus catastrophique quand le
parti est dépourvu de culture d'État.
J'ai connu assez de membres ou sympathisants du FN ces
dernières années pour savoir que la stratégie de la Présidente n'y est guère
majoritaire. Ils suivent, certes, devant les succès électoraux et l'autorité
d'une direction qui éjecte quiconque ne la suit pas – dans le mur. Mais gare à
2017 : si Marine Le Pen ne se ravise pas et donc ne gagne pas, elle portera la
lourde responsabilité d'avoir maintenu son parti hors d'un Système qui, au
vrai, ne demande que cela. Combien plus menaçante serait pour lui une vaste
union des droites, majoritaire dans le pays et capable de gouverner ! En
refusant toute alliance, en perpétuant le piège de Mitterrand, en marginalisant
la part la plus subversive de l'électorat, Le Pen permet au Système de dormir
sur ses deux oreilles – bien gardé par les sectaires des deux bords, les uns ne
voulant pas entendre parler d'UMP, et les autres de FN. Comme je préfère les
sympathisants aux militants toujours si purs – et si durs d'oreille... »