Journal de Paul-Marie Coûteaux

"Une certaine Idée de la France et du monde"

La vertigineuse addition des délires du système des partis, de l'égotisme de notre bocal politique où se sont perdus, hélas, ceux qui ont tour à tour prétendu relever le drapeau, d'une longue suite de gouvernements nuls, de l'incurie de dirigeants qui n'ont de responsables que le nom et, par-dessus tout, de l'oubli par notre peuple de tout souci de lui-même, a créé autour de nous une situation certes douloureuse mais que la France a souvent connue : le chaos. Nous voici près de ce que Bainville appelait la "récurrente anarchie française", dont nous n'apercevons encore que les premiers prodromes. Ce n'est pas une raison pour croire que la France se meure. Qui connaît l'Histoire sait qu'elle en a vu d'autres, et que l'essentiel est toujours, et en dépit de tout, de faire vivre une idée de la France, et à travers elle une idée de la diversité et de la beauté du monde. Cette idée resurgira tôt ou tard : il suffit de la garder au coeur, de distinguer ce qui meurt et ce qui vit, de voir, de comprendre, de protéger la langue, et d'écrire. Voici la suite d'un journal que je tiens depuis 1992, dont j'ai déjà fait paraître des extraits dans un ouvrage, "Un petit séjour en France", ainsi que divers blogues-notes, "For intérieur" puis "Une certaine Idée"...


jeudi 4 décembre 2014

Lundi 24 novembre deux mil quatorze, Paris.

L'hiver, du moins les temps sombres, sont tombés d'un coup, ce matin. Il ne se voit plus aucune feuille aux pauvres branches sur lesquelles s'ouvrent les trois hautes fenêtres du salon – très visité ces jours-ci depuis que P. m'a convaincu de passer une annonce dans un journal spécialisé. Du coup, on ne voit plus que les murs presque aveugles de je ne sais quel département de l'Institut catholique, qui font à présent un omniprésent et triste vis-à-vis. Il faudrait, si j'en avais, tirer les rideaux sur cette grisaille et allumer les lampes dès quatre ou cinq heures de l'après-midi – ce que je fais d'ailleurs, et qui change du tout au tout l'atmosphère du grand appartement. S'annoncent, pour régner sur ces vastes pièces, trois ou quatre mois de jours sans soleil, ce qui ne fait certes pas un argument de vente. Pourtant, il faut bien vendre, tant est basse ces temps-ci la phynance – basse, certes, elle l'est, au point d'être en dessous, très en dessous même, du niveau de la mer.


            Ne vaudrait-il pas mieux attendre les premiers beaux jours de mars ou d'avril ? Cette lumière, aussi douces et soyeuses soient les soirées et les nuits de l'hiver, tout l'attend déjà, comme si la diaprure des gris, si parisienne pourtant, et si charmante à bien des égards (ah!, les nuits longues !), n'était qu'une sombre anomalie. L'autre jour, feuilletant un livre de peinture qui me suit depuis des décennies d'havre en havre (« La peinture française contemporaine »), que je garde toujours sous la main parce qu'il montre de très belles reproductions aux couleurs intactes, et que j'expose sur un lutrin en bois ornant l'une des maies de Mirebeau en tournant de temps en temps ses pages de sorte qu'il forme un tableau changeant, feuilletant ce grand livre, donc, je tombais en d'admiration sur le fameux Dufy.


           Du coup, j'ai repensé tout à l'heure à notre séjour de Collioure, puis ai passé une grande heure à regarder sur internet, qui les restitue mieux que je ne l'aurais pensé, quelques toiles de Matisse, puis la vie de Matisse, puis celle de Seurat, de Manet, etc. En vint une rêverie sur la concordance de la France et de la Lumière : le coq du « jour se lève », qui est l'éternel coq gaulois annonçant le jour, le goût médiéval du rouge, celui des broderies, des enluminures et des tournois, les châteaux clairs de la Renaissance tout ouverts sur la campagne angevine ou tourangelle, les lumières du Roi-Soleil et les jours ensoleillés de Fragonard ou Watteau, la Lumière qu'ont cherchée les Lumières et celle que difractent les trois couleurs du drapeau national – Dufy, justement... La lumière est si bien dans le génie de la France que l'hiver qui la recouvre soudain de brumes n'est qu'un rideau baissé le temps d'un entracte.

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